Fantastiques fourmis
des bois
Savoirs Les dinosaures Les fourmis L'espace botanique d'Ilay Les clochers comtois Visages de la RépubliqueEn septembre 1994, la couverture du magazine Sciences et Avenir titrait fièrement : "Des fourmis du Jura à la conquête du monde! ". Diable, mais qu'ont-elles donc de si particulier ces fourmis jurassiennes? Elles représentent le deuxième cas connu au monde (le premier se situe au Japon, à Hokkaïdo, de super-colonie organisée avec une stratégie de conquête. "Imaginez 1200 fourmilières sur 70 hectares. Reliant ces fourmilières, 100 km de pistes et à l'intérieur, 200 millions d'individus qui, probablement, se reconnaissent tous" expliquait D.Chérix (conservateur du musée de zoologie de Lausanne). Ces 1200 fourmilières, situées à 1400 m d'altitude au dessus du village du Brassus , forment un réseau organisé en secteurs couvrant de un à deux hectares. Chaque secteur regroupe 15 à 20 nids de grande taille auxquels s'ajoutent des nids saisonniers utilisés l'été uniquement. Les pistes qui relient les fourmilières sont des voies de déplacement permanentes qui conduisent aussi vers les terrains de chasse ou les arbres abritant les colonies de pucerons.
Cartographie de la zone Sud-ouest de la super-colonie. En rouge, les fourmilières de F.lugubris. En bleu, dans les zones de sous-bois, les fourmilières de F.paralugubris, reliées par les pistes de communication. En bleu foncé les fourmilières principales; en bleu clair les fourmilières secondaires et (petits cercles blancs) les fourmilières saisonnières.
D.Chérix a montré que la capacité des fourmis à retrouver les pistes après l'hiver est liée à une mémoire topographique (présence d'arbres, ombres et lumières). En effet, le marquage par une phéromone n'est pas durable même s'il est très efficace pour permettre aux fourmis de s'orienter la nuit ou par temps couvert ou de brouillard. Chaque fourmilière devient donc un relais, les pistes servant à alimenter un secteur touché par la pénurie. Plus étonnant, les échanges d'individus : si une fourmilière produit une grande quantité d'oeufs, elle risque de manquer de main d'oeuvre pour nourrir et soigner les larves, s'occuper de la reine etc. Les fourmilières du voisinage se mobilisent alors pour fournir de jeunes individus à qui sera dévolu le travail à l'intérieur de la fourmilière. Et l'on voit ce spectacle de vieilles ouvrières portant par les mandibules leurs cadettes, incapables de s'orienter puisqu'elles ne sont jamais sorties de leur nid. "Il faut imaginer la super-colonie comme un réseau informatique qui dispose d'un stock de vivres et de populations inégalement réparti. Toute l'intelligence du système est de réaliser un flux entre les deux paramètres en évaluant, en termes énergétiques, s'il est plus rentable de transporter des individus ou de la nourriture."
Cette stratégie est bien sûr liée à l'environnement climatique rigoureux (voir page climat) qui impose une période d'activité très courte de 150 jours environ. La coopération à grande échelle paraît être la réponse la plus efficace à ce milieu difficile. " La colonie fonctionne un peu comme un super-organisme où chaque entité travaille à la survie de l'ensemble" conclut D.Chérix. Néanmoins, les études génétiques ont montré qu'il est faux de penser que l'ensemble des fourmis de la super-colonie se mélangent complètement, circulant d'une extrémité à l'autre du site.
Principal "responsable" de la découverte, G.Gris, myrmécologue amateur enthousiaste qui dès le début des années 1970 s'intéressa à l'existence des colonies polydomes. En 1974, Daniel Chérix démarra son travail de thèse sur la biologie et l'écologie des fourmis des bois en étudiant plus en détail la problématique liée à ces fortes densités de fourmilières formant cette super-colonie.
le livre "Fourmis des bois du parc jurassien vaudois" de D.Chérix, A.Freitag et A.Maeder. Voir : Parc Jurassien) ou encore les Ed. Rossolis.)
Protection, menaces, conservation
Les fourmis des bois sont inscrites aujourd'hui sur les liste rouges des espèces menacées en Suisse, mais aussi en Europe. La situation est très préoccupante pour les espèces de basse altitude. Maillon important de l'écosystème forestier, elles jouent un rôle prépondérant pour la végétation et pour la faune en tant que prédateurs mais aussi comme proies. Ce n'est pas par hasard que les sites les plus riches en fourmis des bois sont aussi ceux qui abritent encore le grand tétra et le plus grand nombre d'espèces de chauves-souris. Les équilibres sont fragiles et la biodiversité s'accomode mal des monocultures forestières. Il convient donc de privilégier le maximum d'hétérogénéité paysagère.
Ouvrières de retour de la collecte de miellat. Le gastre est distendu par le jabot rempli de miellat.
Accouplement de fourmis des bois. La femelle est en haut, le mâle en bas.
Coupe d'une fourmilière. On distingue la couronne de tourbe sur les côtés (zones hachurées).
Le dôme est souvent envahi de végétation qui pousse dans la couronne de tourbe, zone non occupée par les fourmis.
Composition du régime alimentaire des fourmis des bois dans le Jura : Jaune : miellat de puceron; rouge : proies animales; vert : graines.