Cette année 2012 marquera le centenaire de l’éruption du KATMAI qui a eu
lieu du 6 au 8 juin 1912. Ce volcan est situé sur la presqu’île d’Alaska, à 160
km au nord-ouest de l’île Kodiak aux grizzlis géants. Cette éruption d’un VEI 6
est considérée comme une éruption majeure ayant eu un impact climatique
important. Elle a envoyé dans la stratosphère 5 millions de tonnes de
dioxyde de soufre. Une étude financée par la Nasa estime qu'elle a provoqué
une baisse des températures estivales dans l'hémisphère nord. Elle a en outre
affaibli la mousson asiatique, réchauffé l'Inde, et refroidi l'Asie l'hiver
suivant. Les aérosols volcaniques ont été « efficaces »; en effet dès le mois
août 1912 on constate en France une baisse significative de la température (cf
graphique pour les années 1907-1916- relevés température moyenne
mensuelle pour les mois d'août à octobre à Paris, et les précipitations du mois
d’août à Rouen).
De nombreux articles ont été écrits dans la presse régionale de l’époque :
C'est ainsi que dans le journal du Loiret du 17 août 1912 on écrit :
«L'automne anticipé – Pour une bonne farce, c'en est une que nous joue cet
hiver qui vient s'asseoir au beau milieu de l'été. A la mer il fait froid, à la
montagne, il neige. Ici nous sommes arrosés sempiternellement et nous
grelottons. Les chapeaux de paille ont disparu, en revanche on a ressorti les
pardessus. L'an dernier, à pareille époque nous avions 35°, aujourd'hui nous
avons 15° et nous souffrons du froid.»
A Rouen, nous ne sommes pas mieux traités. M. Raymond Coulon, secrétaire
de la commission départementale de la météorologie écrit :
« En août le mois commence par une longue dépression. Le 10, alors que le
baromètre est en hausse, nous subissons un orage avec grêle et vent du
nord. Une baisse assez profonde commence rapidement le 12 et dure
jusqu'au 16, elle donne de la pluie. La baisse recommence le lendemain et
dure jusqu'au 25, elle donne du vent du sud fort. Le 23 commence une
nouvelle dépression qui se creuse profondément le 25 et jusqu'au 30. En
résumé ce mois a présenté une extraordinaire agitation barométrique et
aucun des jours marqués comme beaux n'a été exempt de nuages. »
En septembre c'est la même chose, le mois est froid surtout la 1ère décade.
Pendant la 2e et la 3e la courbe des maximums se tient en dessous de la courbe
décennale. L'éruption a bouleversé le temps, d'après Guillaume Séchet de
météo-France : du 8 au 14 mai 1912 les températures atteignent jusqu'à 33°C à
Paris, 34° C à Toulouse et 36°C à Clermont-Ferrand. Et brusquement, après
l'éruption de juin, la vague de chaleur précoce de mai disparaît pour faire place
à des températures restant constamment inférieures aux moyennes observées
en cette saison. C'est ainsi qu'à Brest la valeur maximum d'août n'est que de
19°- 24° à Paris etc... Sans compter les innombrables tempêtes
d'automne, alors que nous sommes en août, qui s'abattent un peu
partout en Europe. C'est ainsi que dans le journal de Rouen du 16
Août 1912 on relève les tempêtes suivantes : Rennes le 14 août –
Dans la baie de St-Brieuc, plusieurs bateaux ont été brisés contre les
rochers. A Saint-Quai-Portrieux le bateau de pêche Gambetta a fait
naufrage... A Saint-Brieuc, Guingamp, Morlaix on signale
d'importants dégâts. La récolte du blé, non encore non enlevée à
cause de la pluie, a été emportée par l'ouragan.
A Chalon-sur-Saône le 14 août – Une violente tornade a sévi sur
différentes communes. Les eaux de la Saône ont été soulevées et
lancées sur la Tuilerie Brusson où toutes les tuiles ont été
arrachées... des champs entiers ont été dévastés et les dégâts sont
énormes. A Toulon le 14 août, la température est anormale. Dans
toute la région, les orages d'hier ont causé des dégâts, le baromètre a
faibli jusqu'à sept cent quarante. Nous avons eu comme température
minimum 16° et maximum 21°.
L'Espagne n'est pas épargnée, c'est ainsi qu'à Bilbao 14 barques de
pêcheur ont fait naufrage, il y a 19 noyés. À Azzola le nombre de
victimes des naufrages occasionnés par la tempête s'élève à 119 (le
Petit Niçois du 16 août).
Le 22 septembre 1912, il gèle sur presque toute la France.
Les températures maximales du mois arrivent à peine à
dépasser les 20° sur la moitié nord. L’anomalie thermique
touche tout le nord-ouest de l’Europe. En Octobre :
nouvelles tempêtes. Dans le journal de Rouen du 1er
octobre, on apprend que « cette tempête était dans toute
son intensité de minuit à quatre heures du matin, marins
et mariniers ont dû veiller et doubler les amarres de leurs
navires. Le vent hurlant lugubrement dans les rues,
secouant les toitures d'où il arrachait tuiles et ardoises, a
tenu les habitants éveillés une partie de la nuit. Sous les
coups répétés de la tempête agissant comme un bélier,
une partie de la maçonnerie de la cathédrale s'est abattue
vers trois heures du matin place de la Calende ». En
Seine-Maritime à Barentin, Le Havre, Londinières, le
Tréport, on ne compte plus les dégâts. Toujours le 1er
octobre, on enregistre un cyclone à l'embouchure de la
Loire qui occasionne bien des soucis. C'est ainsi qu'aux
Chantiers de la Loire à Saint -Nazaire le barrage de la cale
du cuirassé en construction « France » a été arraché
presque entièrement, tandis que dans le
bassin une vague dont on évalue la
hauteur à plus de dix mètres faisait
chavirer les petites embarcations et
incliner d'une façon effrayante le paquebot
«Versailles ». Le cyclone n'a duré que
l'espace de quelques minutes. Une pluie
torrentielle lui a succédé, accompagnée
d'un vent très violent qui souffle encore.
Phénomènes divers : toujours à Rouen,
M.Coulon enregistre les phénomènes
suivants :
- Coloration anormale des fruits : « le 4
septembre plusieurs personnes me font remarquer la coloration anormale
des fruits. Les pommes, les poires sont beaucoup plus colorées que de
coutume, malgré l'absence de soleil. Les fleurs des bégonias sont
habituellement blanches, en ce moment elles sont roses. A quoi attribuer
cette coloration?.... » écrit-il.
- Coloration anormale du ciel : " le bleu du ciel, même par une très belle
journée, prend quelquefois une teinte pâle, d'un blanc laiteux très
caractéristique. En général elle ne persiste pas au delà de quelques heures
dans une journée. Cette année nous l'avons constatée presque journellement
pendant toute la vague de froid dont nous avons été victimes tout l'été." M.
Coulon a relevé la coloration du ciel d'un blanc laiteux la première fois le 28
juin et la dernière fois le 21 septembre 1912.
Les différentes observations météorologiques, climatiques et optiques,
constatées à cette époque permettent de penser que
l'éruption du KATMAI n'a pas été sans conséquence sur
la vie quotidienne des français. Et si elle n’avait pas eu
lieu, ce temps venteux, pluvieux et froid (qui est presque
unique dans les annales du XXe siècle pour un mois
d’août) n’aurait certainement pas existé.
L'observation des deux graphiques montre bien que le
mois d'août 1912 fut à la fois froid (12,55°) et pluvieux
(151 mm). A Rouen, on a enregistré 27 jours de pluie
avec une hauteur de 166,2 mm alors que depuis 1888 la
moyenne décennale pluviométrique calculée pour le mois
d’août recense 13 jours de pluie et 54 mm d’eau, soit
presque 300%.
En 1912 on enregistre à Rouen une « poussée »
importante de la fièvre typhoïde . Elle pourrait être due
aux mauvaises conditions atmosphériques ainsi qu’à un
réseau d’eau potable laissant sérieusement à désirer. (La
différence de 48 malades s’explique par le fait que
l’histogramme reprend les chiffres parus en 1938 qui ne
tient pas compte des étrangers à Rouen).
Michel Lecouteur
Climato-volcanophile – Membre de TERRE ET
VOLCANS - et de L’Association Volcanologique
Européenne - LAVE