Lorsqu’on entend parler du passé des forêts de Levier ou de La Joux, on est surpris par les références faites à des bûcherons canadiens et américains, qui vinrent
quelque peu perturber la tranquillité de ces immenses forêts. Ce sont quelques 2500 canadiens et 500 chevaux qui ont sillonné ces forêts au cours de la première guerre
mondiale pour en exploiter le bois. La particularité de Levier est d’avoir eu le seul camp composé par les américains. Le journal de guerre du “Canadian Forestry Corps”
de la Joux mentionne une seule fois son intervention à Levier : « le 7 août 1917, la compagnie n° 52 partit pour la forêt de Levier afin de mettre en place les premières
opérations. » Un contingent américain arriva à Levier, un soir de novembre 1917, par le chemin de fer appelé “Tacot”. Il s’agissait d’un détachement précurseur composé
d’environ 200 hommes. « Portant de grands chapeaux, ils défilèrent sous les yeux des habitants, de la gare à l’Hôtel de Ville où ils passèrent leur première nuit couchés à
même les dalles ou les parquets. » En sortant de l’école, les enfants se précipitèrent au Rondé pour «découvrir le village de
tentes, installé sous la neige». Peu de temps après, les soldats montèrent des baraques en bois constituant un véritable village
avec dortoirs, réfectoire, cuisine, hôpital, foyer et direction pour les officiers. Les effectifs s’étaient renforcés: 500 à 1000
personnes (peut-être) étaient arrivées, ainsi qu’une centaine de chevaux, des véhicules : side-cars, motos. L’eau était
acheminée au Rondé, de la Source de Septfontenette, par une conduite. Plus tard, l’électricité parvint à partir de la source du
Lison. Le camp fonctionnait dans une autonomie parfaite. La nourriture était essentiellement composée de conserves et, bien
sûr, de chocolats, bonbons, chewing-gums... Ils fumaient un tabac blond très apprécié par les fumeurs de Levier en période de
restriction. L’accès au café du village était réglementé et la consommation d’alcool était interdite. Le camp était encadré par
des “policemen” très stricts dont les interventions énergiques surprenaient les gens du pays. Il y avait un bon climat d’entente
avec la population.
L’autorité administrative et les maires de l’époque paraissaient dépassés et les «gardes forestiers avaient peur qu’ils coupent
les Sapins Présidents. »
Un rouleau compresseur permettait la création de chemins et on n’hésitait pas à « combler de troncs d’arbres les trous très
importants avant de les recouvrir de cailloux. Le rendement était important, mais les déchets aussi !» Au bout de quelques mois, le camp américain était en pleine
activité. Les véhicules hippomobiles sillonnaient les différents secteurs de la forêt où s’activaient les équipes de bûcherons qui abattaient. Un guide du touriste en forêt
de Levier, édité en 1936, mentionne : « La forêt de Levier a en effet fourni en 1917-1918, à la défense nationale, la quantité énorme de 246 000 m3 de bois, soit 180
000 m3 de plus que la possibilité normale. »
Le camp cessa son activité en 1919. Les habitants de Levier ne se soucièrent guère du départ des américains, car ils
attendaient le retour des mobilisés et supportaient mal de voir saccager leurs forêts. Les installations en place, d’abord
rachetées par le Gouvernement Français, permirent de
loger les réfugiés des départements sinistrés du Nord et de
l’Est de la France. Par la suite, les baraques furent adjugées
aux résidents des villages qui pouvaient en avoir l’utilité.
«Je me souviens aussi qu’un Américain est venu après la
guerre pour marier une dame du village qui était veuve
et qui tenait un café comportant un piano mécanique rue
de Chapelle d’Huin... »
Adapté du bulletin municipal de Levier - les
témoignages de F.JEANNIN et de M.ROUSSILLON ont été
enregistrés en 1985.